Aline Le Guluche promène son histoire d’une conférence à l’autre et d’une région à l’autre. Cette femme de 60 ans ne savait ni lire ni écrire il y a 10 ans. Elle est donc retournée à l’école et a écrit seule un livre où elle raconte son périple à travers l’illettrisme. Elle sera à Léchiagat, dans le Finistère, ce vendredi. Rencontre.
Quand elle était gamine, Aline Le Guluche aurait aimé faire du théâtre, de la danse, du cinéma. « Seulement pour cela, il fallait maîtriser les mots » dit-elle. Et elle, elle ne savait ni lire ni écrire. « Je n’étais pas analphabète car je connaissais mon alphabet. J’étais illettrée ».
Les mots, elle en a fait sa force aujourd’hui. Elle est devenue ambassadrice de la lutte contre l’illettrisme. Elle a même écrit un livre où elle raconte son parcours de vie. Car, il y a 10 ans, Aline est retournée à l’école pour « réapprendre ».
L’école de l’humiliation
Cette fille d’agriculteur, dernière d’une fratrie de huit enfants, entre en CP à 6 ans, comme tous les autres élèves de son âge. C’est la fin des années 60. Elle souffre de dyslexie, « mais à l’époque, on n’en parlait pas et les parents n’étaient pas très réactifs sur le sujet ».
En classe, elle subit les moqueries. L’humiliation d’un enseignant « maltraitant » qui la frappe, lui tire les cheveux, la punit en la mettant à genoux sur une règle, la traite de « fille de paysans » avec tout le mépris de classe que cette phrase englobe. « Les fils et filles de l’épicier, du maire, il les laissait tranquilles. Nous, les enfants du milieu rural, on sentait la vache, non pas parce que l’on était sales, mais simplement parce qu’avant d’aller à l’école, on s’occupait des bêtes et que leur odeur était sur nous » .
Elle bloque sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture face à cet instituteur qui décrète qu’elle n’en vaut pas la peine. « Même encore maintenant, si quelqu’un est derrière moi quand j’écris, je tremble, je panique » confie cette femme de 60 ans qui, tout au long de sa vie, a dû biaiser pour masquer son illettrisme.
En douce
Aline Le Guluche laisse sa scolarité sur le bord de la route à 16 ans et part travailler dans une usine. « C’était assez facile pour moi car la secrétaire du patron s’occupait de tous les papiers, se souvient-elle. Recopier, je savais faire car je ne suis pas arriérée mentalement. Mais ça s’arrêtait là ».
A 30 ans, elle change d’employeur. Un hôpital parisien l’embauche. « Je pensais faire la plonge, le ménage, mais, voilà la vie, c’est pas comme ça, sourit-elle. On m’a demandé de m’occuper des entrées et des listings pour les menus des patients ».
Alors, elle s’y met. Tant bien que mal. Elle essaie de déchiffrer les mots écrits par d’autres mains. « T et O, ça fait TO, M et A, MA, T et E, TE etc etc, égrène-t-elle. C’était lent, long, laborieux, je ne comprenais pas tous les assemblages de lettres. C’était impossible ».
Le soir, chez elle, Aline ramène les listes et fait ses devoirs « pour apprendre à écrire ‘yaourt’, ‘concombre’, ‘fromage’. Je travaillais en douce. Je ne voulais pas que mes enfants me voient ».
Transformation
Aline dit la honte qui s’agrippe à elle, évoque le système D pour ne pas à avoir à écrire ou lire, les phrases comme « j’ai oublié mes lunettes », « j’ai une écriture de cochon » servent à détourner le regard.
J’ai dit ‘ça suffit, je suis fatiguée, je veux évoluer et retourner à l’école’
Aline Le Guluche
Elle se débrouille néanmoins jusqu’au jour où elle décide d’écrire à son employeur. Ou plutôt, c’est sa fille qui va rédiger la lettre qu’elle recopiera. « Je lui ai demandé des cours de remise à niveau, relate-t-elle. Il ne comprenait pas, vu qu’il avait mon courrier entre les mains ». Elle finit par craquer et tout lâcher. « J’ai dit ‘ça suffit, je suis fatiguée, je veux évoluer et retourner à l’école’. Voilà comment à 50 ans, j’ai commencé à apprendre le sens des phrases, la syntaxe, les mots ».
Son parcours intéresse l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme qui lui propose de témoigner lors de conférences publiques. Elle qui est plus encline à se mettre « en retrait » se retrouve en pleine lumière. « J’y vais pour la cause et pour la cause, j’arrive à dépasser mon stress ». Même Lancôme la remarque et lui demande de devenir la porte-parole de son programme de lutte contre l’illettrisme des femmes en France, Ecrire son futur.
Une conférence ce vendredi à Léchiagat
Son livre J’ai appris à lire à 50 ans, qu’elle a écrit seule dès 2016, sonne comme une catharsis. Ce n’est pas un lieu commun pour cette femme au visage rayonnant. « Retourner à l’école, ça m’a donné de la force, confie-t-elle. Il y a une autre Aline désormais qui s’est dépassée. Je me sens transformée ».
En 2020, quand ce récit sur papier est publié, elle lâche de grosses larmes. « L’avoir entre les mains, je n’en revenais pas. Surtout que j’ai triché en l’écrivant sur mon ordinateur, s’amuse-t-elle. Je fais encore des fautes d’orthographes alors le correcteur et les moteurs de recherche pour certains mots m’ont bien aidée ».
En France, 2,5 millions personnes sont confrontées à l’illettrisme dont 4.000 en Bretagne. Témoigner, en parler, mettre l’accent sur les outils à développer, c’est désormais la mission que s’est donnée Aline Le Guluche.